PROGRAMME Mon cerveau dans ma bouche Lithium 2000

PROGRAMME Mon cerveau dans ma bouche

J’arrive un peu tard pour parler de ce disque. Plus très nouveau, mais toujours aussi… FORT. Des gamins m’avaient parlé d’un groupe qui répétait et enregistrait à la campagne, vers chez eux, dans le Gers. Ils m’avaient parlé de hip hop, mais un hip hop assez bizarre. Ca m’intriguait. Alors ils m’ont passé le disque. Je ne m’attendais pas à ça. La première écoute m’a tellement impressionné que j’ai longtemps hésité avant de remettre ce disque dans ma platine. J’avais peur de ne pas retrouver le malaise qu’il m’avait procuré… une sorte de douche froide. C’était comme se retrouver quelque part. Ailleurs. Et ailleurs que dans de la musique. Pourtant la musique est bien présente ici. Mais par un tour de génie (et un travail d’audiophile), Programme la transforme en ambiance, et les ambiances en sensations et impressions. L’abandonne au subliminal. En fait une ponctuation, une l’intonation. L’attention, toute l’attention, se porte ailleurs… Cet ailleurs où l’on est projeté de force et dont on ne peut plus s’arracher. « Mais qu’est-ce qu’on fout là ? »… Le malaise, c’est la voix qui le crée. Mixée très en avant… presque chantée. Mais non, parlée, comme si le chant était proche mais toujours retenu. Proscrit. Comme si était interdit tout ce qui pourrait rendre Programme plus rassurant, plus séduisant, consensuel. Les répétitions, les scansions, et un accent du Sud ouest sont les seules pointes de débordements vers le chant. Un accent qui donne quelque chose de tellement réel, d’un peu rural même, et qui crée une tension supplémentaire avec l’univers urbain et froid de Programme. Il y a de la musique, beaucoup de samples grinçants… et pourtant même lorsqu’elle est silencieuse, c’est la voix qui s’impose. Ces silences pèsent des tonnes ; ils écrasent tout. Ils exacerbent l’attention. Car du début à la fin, pas question de perdre un mot. Comme quand on lit un livre. Un livre terriblement cynique. Terriblement cynique dès « Demain », le prologue qui pose le programme de Programme : « ce disque (…), c’est de la merde », mais c’est ça ou se taire. J’en parle six ans après parce que ce disque reste pour moi un chef-d’œuvre, le disque par excellence à la fois savant et populaire. Un disque, d’ailleurs ? Non, une collection de tableaux qui se regarde avec les oreilles. Une expérience intérieure.